Adjugée à 75.000 euros. La porte de mosquée du 17è siècle, pièce phare de la vente, appartient maintenant à un nouveau collectionneur. S’appeler Pierre Bergé et Yves Saint Laurent et céder ses objets, ses meubles, ses tissus, attire beaucoup de monde. Les salons du Es Saadi à Marrakech sont pleins en ce samedi soir. Des Marocains, venus de partout, de Casablanca, Rabat, et de nombreux résidents étrangers. Certains sans limite d’achat, d’autres au budget plafonné. Pendant plus de 4 heures, près de 280 objets se succèdent sur l’écran géant. Au marteau, François Tajan, commissaire priseur de la maison de vente parisienne Artcurial, a tenu le spectacle en brillant chef d’orchestre. Entre la salle et les enchères ordonnées via internet ou par téléphone, quelques jolies batailles se sont engagées entre collectionneurs. C’est ainsi que le caisson de plafond de Meknès du 19è siècle, avec une mise de départ de 2.000 euros, s’est vendu 21.000 euros. Ou ce moucharabieh de Fès mis à prix à 6.000, qui s’est envolé à 33.000 euros. Bien décidés à détrôner leurs adversaires et remporter l’objet de leur convoitise, des acheteurs ont fait le show. Comme pour les enchères de cette céramique aux quatre pétales du début du 18è siècle, qui sont passées de 4.500 à 11.000 euros en un seul ordre. Belles envolées également pour cette ceinture de mariage en or et émeraudes de la 2è moitié du 20è siècle, adjugée à 46.000 euros, pour une mise de départ à 2.000, ou la portière izar de toute beauté, un voile de coton brodé de soies naturelles, cédée à 11.000 euros.
Était-ce l’heure avancée, une salle déjà bien moins pleine… le mobilier signé Bill Willis n’a pas remporté le succès de la collection d’art islamique. Estrades, armoires de présentation, vitrines, ont souvent été cédées en dessous de leur mise à prix. Il était pourtant légitime de s’attendre à plus de ferveur. Le décorateur d’origine américaine a enflammé le microcosme chic et bohème du Marrakech des années 60. Passionné par l’Orient, il réhabilite les techniques artisanales ancestrales qu’il développe d’une manière moderne. Ses décors mêlent des références à l’art islamique, hispano-mauresque, Art Déco et gothique.
Plus de la moitié des objets proposés pour cette vente est interdite de sortie du territoire. Un message fort du Royaume, bien décidé à protéger son patrimoine. Si bien sûr, le panel d’acheteurs et donc les montants des adjudications en ont été ainsi réduits, pour Olivier Berman, directeur associé d’Artcurial, et grand spécialiste du marché de l’art au Maroc, “ce respect de la loi valorise ces objets, qui ont leur place ici, dans leur pays. Je trouve à la fois très bien cette interdiction d’exportation, comme cette nouvelle loi qui passe l’importation des œuvres d’art à 10%. Deux excellentes mesures”. Rajoutant que “le marché des collectionneurs marocains s’étoffe. Grâce à une volonté royale, à l’influence du musée de rabat, et à une politique d’exposition, qui débute mais qui est intelligente. Il y a une vraie possibilité pour le Maroc d’être le hub de l’Afrique sur ce créneau. A condition, de mieux s’organiser. Même avec les objets sur place, tout a été compliqué dans l’organisation de cette vente aujourd’hui, ne serait-ce que pour faire venir les catalogues. Mais comme tout marché qui s’ouvre, il faut laisser le temps aux acquéreurs et au pays de s’habituer aux ventes aux enchères occidentales. Le marché ne pourra que mieux grandir”.
“Une passion marocaine” est un événement, encore exceptionnel, mais qui, d’après les experts, va faire du bien à l’artisanat du Maroc, à la culture, et à l’ensemble du marché de l’art.
L’appel de l’Afrique
En marge de la vente aux enchères, était organisée l’exposition “African Spirit”. Un très bel ensemble de 30 tableaux, aquarelles et sculptures. Iacovleff, Quinquaud, Jespers, quelques signatures et 11 toiles de Majorelle. Ces œuvres appartiennent à un seul et même client Français de la maison Artcurial, qui les cède aujourd’hui pour se tourner vers l’art contemporain. Pour Berman, il s’agit là “d’une collection axée sur l’Afrique noire, ce qui est extrêmement rare. La vente, prévue le 9 novembre à Paris, sera la première vente de cette importance sur cette région du monde. L’Afrique noire étant très rarement représentée par la peinture. Des œuvres rares donc, mais signées de noms très reconnus du marché”.
3 questions au commissaire priseur
“Le Maroc affirme son intérêt pour son patrimoine”
- L’Economiste: Quels bénéfices tire Artcurial de cette vente?
François Tajan: Pour Artcurial, cette vente s’inscrit dans une stratégie de développement à l’international, qui s’est accélérée ces dernières années. Le Maroc est une destination privilégiée, qui nous fait rencontrer à la fois un public marocain de collectionneurs de plus en plus nombreux et importants, et une communauté d’étrangers qui y possèdent des maisons et qui aiment s’y retrouver. - Quel est le profil des acheteurs?
- Grâce à l’interdiction de sortie de la majorité des objets vendus, le Maroc affirme son légitime intérêt pour son patrimoine. Des collectionneurs, mais aussi des décorateurs, des architectes, ont été attirés par ces objets d’une grande qualité et d’une provenance tellement prestigieuse. Le double phénomène des noms Bergé-Saint Laurent et de leur profond attachement pour le Maroc magnifie cette vente aux enchères. - Qu’est ce qui motive un collectionneur à vendre?
- Lorsque l’on est un grand collectionneur, que l’on a acquis une certaine maturité, on arrive forcément à l’aboutissement. On a discerné la valeur des œuvres avant tout le monde, on les a admirées, défendues, acquises et montrées. Il est intéressant et logique ensuite d’avoir envie de les transmettre à d’autres, qui vont eux-mêmes porter la bonne parole et avoir un nouveau regard sur ces objets tant aimés.
Stéphanie JACOB
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