Rachel Muyal, l’égérie du Tanger littéraire vient de nous quitter. Vendredi dernier, elle rendait un bel hommage à Lotfi Akalay à la Mendoubia.
Elle vient de le rejoindre.
Reposez en paix chère Rachel Muyal.
La dernière fois que je vous ai rencontrée c’était à la Légation Américaine de Tanger en novembre dernier. Vous m’aviez chaleureusement remercié pour l’article que j’avais fait sur votre livre « Rachel Muyal, La mémoire d’une tangéroise » que j’avais lu avec un grand plaisir, l’été dernier.
La meilleure façon de vous rendre hommage est de publier à nouveau cet article et de recommander à toutes celles et ceux qui vous aiment et qui vous apprécient de se procurer votre ouvrage et de se replonger dans votre belle histoire de la vie littéraire de Tanger et de cette Cité du Détroit que vous aimiez tant.
Paul Brichet
En hommage à Rachel Muyal.
Cet été, j’ai lu avec plaisir le livre témoignage de Dominic Rousseau sur le parcours Tangérois et littéraire de Rachel Muyal intitulé « La mémoire d’une tangéroise ». Au delà des croisements de Rachel dans les nombreuses manifestations et vernissages de la Cité du Détroit, je connaissais très peu le parcours de cette authentique tangéroise qui fut, pendant 25 ans à la tête de la célèbre librairie des Colonnes et l’ambassadrice du Tanger littéraire.
Ce livre est presque écrit à deux mains par la plume de l’écrivain Dominic Rousseau et la narration des souvenirs, des commentaires et des anecdotes dont Rachel émaille leurs échanges et l’histoire de sa vie.
Rachel Muyal nous offre un large focus sur Tanger, le Tanger d’antan cosy, cossu et particulièrement le Tanger littéraire et culturel « très jet set » bien différent de la réalité crue du Tanger de la misère en médina, des dockers du port, des quartiers pauvres, de la drogue et du reste…
Née en 1933, quelques jours après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, Rachel passera presque toute sa vie à Tanger et dans les mêmes quartiers, du Marshan au boulevard Pasteur où elle réside encore.
Orpheline de mère à deux ans et demi elle fut élevée avec ses frères par son oncle Samuel et sa tante Messody dans une culture israélo-hispanique très marquée par le contexte international de Tanger.
Un parcours éclectique et multiculturel va façonner Rachel et la préparer à ses 25 années à la tête de la librairie des Colonnes, créée en 1949.
Son appétit de jeunesse pour les connaissances et la littérature la prédestinait déjà à cette mission d’ambassadrice littéraire et culturelle de Tanger et de Tanger tout court, sa ville de coeur.
Au début des années 70, elle prend la gérance de la librairie après les soeurs Gérofi. Avec de la prudence, du bon sens, de l’énergie et de la créativité elle redressera les Colonnes qui étaient assez mal en point à cette époque.
Son expérience de sept ans au sein de la société américaine RCA Global Communication, « les grandes oreilles américaines » en charge de la gestion sociale des employés sera certainement un atout majeur pour la suite de son parcours en terme d’organisation et de relations avec les autorités.
Aux commandes des Colonnes, elle va gérer au plus fin et surtout inventer à Tanger les fameuses « signatures d’auteur » qui vont propulser l’historique lieu dans l’actualité littéraire et culturelle du moment. Ces événements seront un véritable coup de projecteur mis sur la librairie et un phare vers lequel le tout Tanger va se diriger par appétence littéraire ou pour le plaisir d’être dans le « move » de la bonne société de la ville.
Le monde littéraire et culturel, la société lettrée et business de Tanger, les personnalités artistiques et culturelles de passage seront les ingrédients du succès des Colonnes pendant 25 ans. Rachel saura rassembler avec intelligence, discrétion et efficacité tout ces mondes qui feront le succès des Colonnes. Rachel est également la formidable « marketing woman » de la « Tanger Connexion ».
La première « signature » du genre où elle accueillit Martha Ruspoli, une descendante du marquis de la Fayette pour son livre « L’épervier divin », fut une grande réussite. La machine allait connaitre un succès plus grand puisque les cercles diplomatiques, de pouvoirs et scientifiques s’y intéresseront et feront pour certains des passages remarqués. Des noms tels que Driss Chraïbi, Hubert Reeves, éminent astrophysicien, Gilles Kepel, Dominique Pons, Tahar Ben Jelloul, Paul Bowles et sa cour, pour ne citer que ceux-là, vont forger la mémoire des années littéraires de Rachel Muyal. D’autres comme les écrivains Mohammed Choukri, Jean Genet et Juan Goytisolo feront des Colonnes un autre tremplin.
Fort de ce passé, la Dame des Colonnes n’hésite pas, aujourd’hui, à prendre la parole publiquement pour parler de la diversité culturelle de Tanger, de l’amour et de l’intérêt qu’elle porte pour sa ville depuis si longtemps. Plus qu’un roman de vie, «Rachel Muyal. La mémoire d’une Tangéroise », est la restitution d’une trace indélébile de l’histoire du Tanger plurielle.
Témoignages…
J’ai posé la question à une cinquantaine de personnalités tangéroises :
Avez-vous lu le livre Rachel Muyal « La mémoire d’une Tangéroise » et que vous inspire Rachel ?
La plus part ont aimablement répondu, certains ne se sont pas mouillés et d’autres ont carrément botté en touche!
Dans l’ensemble Rachel ne laisse pas indifférent, elle interpelle allégrement son public. Ils sont nombreux à saluer l’ambassadrice de l’activité littéraire de Tanger pour sa longue carrière aux Colonnes. Son dynamisme permanent, son omniprésence dans la société tangéroise et son élégance classique sont également pointés… Il faut noter aussi que Rachel fait partie avec Mrabet peut être des derniers grands témoins de cette belle époque culturelle dont il faut se souvenir sans rabâcher car il se passe bien d’autres choses à Tanger aujourd’hui…
Quelques témoignages:
« C’est un personnage de Tanger et elle fait partie de notre ville »
« Dominic Rousseau a su rendre la vivacité de cette Tangéroise exemplaire »
« On aimerait savoir ce qui l’a vraiment marqué sur un plan littéraire… »
« Cette femme m’a toujours inspiré, je la vois depuis que je suis tout petit… »
« J’adore son infatigable curiosité et last but not least, j’adore son élégance, son apparence. Elle est une des VIP dans notre ville… »
« Une vie passée à traverser le boulevard pour aller de son appartement à la librairie… »
« Pétillante, toujours souriante et gentille. »
« Oui c’est intéressant sur le Tanger d’avant…! Surtout elle est encore le témoin vivant de cette époque… »
« Ce livre flatte beaucoup son ego, un peu exagéré parfois. Mais Il faut reconnaître que c’est quand même une fameuse personnalité qui a vécu dans ce Tanger multiculturel des choses assez incroyables. La dame d’une époque dont elle a su tirer avec intelligence une vie palpitante… »
« J’ai toujours été frappé par la douceur qu’elle dégage. »
« Comme beaucoup de gens elle fait la part belle aux gens « célèbres » qu’elle a rencontré. Sinon au début je trouvais qu’elle avait un côté « naphtaline sortie du placard » mais je dois reconnaître chez elle une grande curiosité pour tous les évènements culturels qui se déroulent à Tanger et vu son âge c’est très respectable ! »
« J’aime beaucoup ses anecdotes et je pense que c’est une des mémoires de Tanger. Elle est chiante mais je l’aime bien… »
« Rachel représentante une icône de la ville de Tanger. Elle a connu tellement de choses et le remémore si facilement c’est un bonheur de l’entendre »
« J’adore Rachel »
« Cette dame m’inspire du respect, mais je n’ai pas lu son livre »
« Rachel a eu deux immenses qualités : sans elle et son excellent sens du commerce et de l’entregent (plus que de la littérature), la librairie des Colonnes n’existerait plus depuis longtemps ; et en tant que juive marocaine, elle est restée ce qu’elle est, d’où elle est, avec fierté et dignité, et n’est pas allée occuper un peuple qui ne lui avait rien demandé… Les deux méritent énormément de respect !
Paul Brichet
A propos de Dominic Rousseau
En juillet 2015, Dominic Rousseau a cessé sa fonction d’instituteur pour se consacrer entièrement à ses activités d’écrivain. Il a publié des livres d’histoire en 2008 et 2013, dont une biographie de Jacques Roux, chef de file des Enragés à Paris pendant la Révolution française, intitulée « Le Curé Rouge ».
Actuellement, Dominic Rousseau partage sa vie entre la France et le Maroc. Il a publié en 2015 à Tanger un livre qui porte sur sa rencontre en 1995 avec le grand écrivain américain Paul Bowles. Il prépare l’édition d’un ouvrage consacré à la présence des hippies au Maroc au début des années 70, qui sortira en début 2019.
Il rédige en ce moment un livre d’entretiens qui porte sur le passé artistique et littéraire de Tanger et se consacre à une recherche sur le Bordeaux libertaire à la fin des années 60. Il partage sa vie entre Bordeaux et Essaouira.
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