samedi 24 octobre 2015

«Amender le code de la famille de manière à accorder aux femmes les mêmes droits dans la formation du mariage, dans sa dissolution, dans les relations avec les enfants et en matière successorale, en conformité avec l’article 19 de la Constitution et l’article 16 de la CEDEF».. Cette phrase contenue dans un paragraphe du dernier rapport du Conseil national des droits de l’homme a relancé le débat autour de l’épineuse question de l’héritage. Un sujet qui creuse le clivage entre modernistes et conservateurs de la société marocaine. Déjà, certains politiciens avaient fait les frais de leurs positions sur ce dossier, à l’image de Driss Lachgar, premier secrétaire de l’USFP, qui avait subi les foudres des théologiens, au point où certains ont fait des appels au meutre. Aujourd’hui, le Conseil présidé par Driss El Yazami jette un pavé dans la mare. Surtout qu’il s’agit d’une institution officielle, qui a contenu une recommandation courageuse, claire et explicite, en vue de faire bénéficier la femme des mêmes droits que l’homme en matière d’héritage. En effet, le CNDH a mis l’accent sur ce point dans son 6e rapport thématique, qui constitue un bilan des 10 années d’application du Code de la famille. Pour appuyer leur proposition, les membres du CNDH se sont référés à l’article 19 de la Constitution, relatif au principe de la parité. Néanmoins, les détracteurs de cette proposition se renvoient également au préambule de la Constitution, qui stipule que le Maroc est un «Etat musulman». Les conservateurs, qui n’ont pas hésité à tirer à boulets rouges sur le Conseil d’El Yazami, considèrent que cette question est tranchée, dans la mesure où elle est régie par un texte coranique, qui ne laisse aucune place à l’interprétation. D’autant que l’article 19, évoqué dans le rapport du CNDH, énonce que la parité doit être renforcée, mais «dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes du Royaume et de ses lois». Et c’est ce point que les détracteurs de la recommandation du CNDH mettent en avant, estimant que l’islam de l’Etat est l’une des constantes du Maroc. Le secrétariat général du PJD, qui a tenu une réunion mercredi dernier, s’est basé sur ce point pour attaquer les responsables du CNDH. Le parti dirigé par Abdelilah Benkirane a critiqué cette proposition considérant qu’il s’agit d’une «position irresponsable, qui constitue une violation de la Constitution». Le PJD ne fait pas dans la dentelle. «En émettant cette recommandation, le CNDH constitue une atteinte à l’institution de la Commanderie des croyants et une contradiction avec le discours royal à l’occasion de l’ouverture de l’année législative de 2003», selon le communiqué du secrétariat général du parti. Parallèlement, le courant conservateur considère qu’il s’agit d’un dossier qui relève plutôt des attributions du Conseil supérieur des oulémas. Jusque-là, cette instance n’a pas encore réagi à la proposition du CNDH. Son avis est très attendu sur ce dossier, dans la mesure où cette institution, présidée par le commandeur des croyants, est la seule habilitée à se prononcer sur les questions d’ordre religieux. Surtout que les réactions de certains théologiens, qui agissent en électrons libres, fusent de toutes parts, essentiellement dans les réseaux sociaux. Certains d’entre eux n’ont pas hésité à qualifier la proposition du CNDH comme un appel à la discorde (Fitna). Il faut rappeler que le Conseil supérieur des oulémas s’est déjà prononcé en 2008 sur le sujet des droits de la femme en relation avec des dispositions religieuses. A l’époque, cette instance avait précisé que «les constantes religieuses et les préceptes énoncés par le Coran ne peuvent faire l’objet d’ijtihad comme c’est le cas pour les règles de l’héritage».
Allons-nous revivre une seconde fois la confrontation entre modernistes et conservateurs comme cela a été le cas en 2003, avec deux grandes manifestations à Casablanca et Rabat, avant l’adoption de la Moudawana? En tout cas, tous les ingrédients sont là pour attiser la tension entre les deux courants. Certains épisodes comme ceux du lynchage d’une personne suspectée d’homosexualité à Fès ou encore l’affaire des jupes à Inezgane sont là pour témoigner du climat d’intolérance dans certains milieux.

Evaporation des promesses constitutionnelles

Au-delà de la question épineuse de l’héritage, le rapport du CNDH a émis une série de recommandations. Le Conseil a tiré la sonnette d’alarme sur le retard pris dans la mise en place de l’Autorité de la parité. Il appelle à l’accélération du processus de son activation, «en la dotant des mandats de protection, de prévention et de promotion de l’égalité et parité de genre, ainsi que des pouvoirs lui permettant d’assurer la mise en œuvre des législations et politiques publiques». Le Conseil, présidé par Driss El Yazami, n’y va pas de main morte en fustigeant «l’évaporation progressive des promesses constitutionnelles». Il pointe les «retards enregistrés dans la mise en place de l’Autorité de la parité et du Conseil consultatif de la famille et de l’enfance». Les critiques du CNDH portent aussi sur la loi organique relative aux nominations des hautes fonctions, qui «ne comprend aucune disposition pour concrétiser la parité». Pire, «son décret d’application ne fait pas mention à la parité, ni à aucun autre mécanisme incitatif pour promouvoir la représentation féminine».

M.A.M.



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