jeudi 22 octobre 2015

DE retour de la Casa Arabe à Madrid, où se tenait un colloque sur les institutions financières islamiques dans le mouvement des transitions arabes en Afrique du Nord, je n’ai pu m’empêcher de me poser cette question. Mais en revisitant les présentations des conférences par les chercheurs européens participants et les discussions parallèles, la réponse se profilait aisément. La Maison Arabe, créée en 2006 par l’Etat espagnol pour se réapproprier le passé arabo-musulman du pays et jeter les ponts culturels entre Espagne et Monde Arabe, s’est fixé l’objectif de rassembler des penseurs et universitaires espagnols, britanniques, français et italiens, représentant un réseau en projet d’experts de la finance islamique au sens le plus large, pour débattre de la question.

Des centres de recherche en Europe

Chacun d’eux relève d’un centre ou d’un groupe de recherche et d’enseignement, où les composantes de l’économie islamique, tels la Banque, l’assurance mutualiste, les marchés de capitaux, la Zakat ou le Waqf, sont enseignées, parfois juste intégrées à des Masters d’économie et de finance, comme c’est le cas de l’Université de Florence. Le célèbre Empresa Institute, classé dans le top 5 des écoles de management dans le monde, a créé à Madrid un centre dédié à la finance islamique, sponsorisé par l’Université KAU à Jeddah. Il a été récemment mandaté pour former les futurs cadres de l’ICD, branche privée de la Banque islamique de développement. Le professeur émérite Rodney Wilson, gourou britannique de la finance islamique de l’Université de Durham, était aussi de la partie. Plus impressionnant était le papier de la professeur Randi Deguilhem, chercheur au CNRS à Aix-Marseille, sur le Waqf dans le monde musulman, proposant une ingénierie à même d’en faire un levier de développement. Elle avait été l’hôte d’un colloque international organisé en 2013 à Rabat par le ministère des Habous, où tous les Oulémas étaient ébahis de la voir présenter la conférence d’ouverture sur le thème, avec brio et connaissance profonde.
Pourquoi cet intérêt? D’abord parce qu’un chercheur ouvert d’esprit s’intéresse à toutes les expériences émergentes dans le monde, et la croissance de la finance islamique dans le monde a une moyenne annuelle de 16% depuis une décennie et sa résilience à la crise ne vienne pas contredire ce principe. Mais à les entendre, ce n’est pas la seule raison. Malgré les critiques portées à certaines formes d’application de la finance islamique dans le monde, ils sont séduits par le concept de la cohésion de ses composantes entre le rôle de financement de l’économie, l’impact recherché sur l’économie réelle, et les retombées sociales assurées par les modes participatifs de financement. Le modèle proposé par la finance inspirée de la Charia est assurément à l’antipode du capitalisme financier contemporain, tout comme les règles de l’économie solidaire et responsable inspirée de la vision islamique sont de nature à créer davantage de justice économique et une meilleure répartition des richesses. Le mouvement de l’économie éthique dans le monde ou encore les travaux du prix Nobel Amartya Sen, ou du prix Leontief, Ha-Joon Chang, versent dans le même sens.

Transitions arabes

Dans le colloque de Madrid, des chercheurs en finance islamique d’Afrique du Nord avaient leur place. J’en ai fait partie pour présenter  le rôle développemental que peuvent jouer les banques islamiques dans les transitions arabes en Afrique du Nord. Le cas du Maroc, encore une fois, s’est distingué par son caractère d’exception, dans un paysage régional marqué par une grande hétérogénéité. L’Egypte avec ses 13 banques n’est pas la Libye, où il n’en existe aucune, et l’Algérie, la Tunisie et la Mauritanie, bien que précurseurs depuis 1983, pratiquent encore sans aucun cadre législatif.  De son côté, le Maroc a adopté la démarche stratégique la plus prudente qui soit. La genèse de la banque participative au Maroc remonte à 1984, date du dépôt des premières demandes d’autorisation par des banques du Moyen-Orient. Non découragée par le refus essuyé par ces banques étrangères, Wafabank tenta en 1991 d’ouvrir des guichets de produits bancaires islamiques en son sein, sans plus de succès. Elle se contentera de créer un fonds commun de placement compatible avec la Charia, Cap Moucharaka, aujourd’hui encore géré par Wafa Gestion. Le groupe récidivera en 2010 en créant Dar Safaa, profitant de l’ouverture offerte par la Banque centrale par une circulaire sur les produits dits alternatifs. Dans les années qui suivent, une fiscalité non adaptée et la restriction plombant toute communication appropriée ont eu raison de cette expérience courageuse, mais aux résultats très mitigés.
Il n’en fallait pas moins pour lancer l’opposition au Parlement sur la proposition d’un projet de loi en janvier 2011, mais qui a dû être jugé par trop radical, puisqu’il proposait un système dual où les banques islamiques auraient bénéficié d’une législation et d’une supervision à part. C’est le moment où Bank Al-Maghrib décide de passer à la vitesse supérieure, en lançant avec le gouvernement un long processus législatif d’intégration de la finance participative dans la loi modificative d’organisation du secteur bancaire, finalement promulguée en janvier 2015. Ce processus s’est enrichi de la refonte de la loi sur la titrisation, qui inclut désormais les Sukuks et la refonte de la loi sur les assurances qui inclut l’assurance mutualiste Takaful, ainsi que le Dahir royal modificatif de l’organisation du Conseil supérieur des oulémas, pour intégrer la nouvelle mission de contrôle de compatibilité des opérations bancaires avec la Charia. A l’image de la politique des autorités en la matière, qui se veut pondérée et progressive, la place financière se prépare lentement, mais sûrement. Aujourd’hui que les circulaires d’application paraissent au fil de l’eau, les demandes d’agrément, au nombre de 17, sont en cours de dépôt et d’étude, en prévision d’une ouverture attendue des premières institutions à partir du printemps 2016, mais qui ne dépasseront pas quelques institutions, à la mesure de la taille du marché national.

L’effervescence des amphis et des salons

Saisissant l’opportunité, les programmes de formation ont fait florès dans les universités publiques et privées. Mais encore une fois, l’Europe n’est pas en reste, le dernier programme annoncé étant le Master de Paris Dauphine en partenariat avec Grant Thornton à Casablanca. D’autres institutions de conseil et des associations s’activent aussi pour jouer le rôle de sensibilisation des acteurs et de préparation du terrain à cette nouvelle finance. C’est ainsi que le groupe de conseil international malaisien, Amanie, vient d’organiser cette semaine à Casablanca avec le groupe marocain Aisse le International Participative Finance Forum, où des banques et institutions publiques malaisiennes sont venues en force présenter leur modèle, considéré aujourd’hui comme l’un des plus réussis dans le monde, en matière de croissance, d’innovation et d’impact sur le développement.
 



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