Les divers soulèvements arabes ont exposé les fissures d’un modèle de gouvernement fondé sur un contrat social accordant des avantages tels que l’éducation et la santé gratuite, des produits alimentaires et énergétiques subventionnés, ou encore des emplois publics pléthoriques en échange d’un soutien politique. Décryptage.- L’Economiste: Vos sondages indiquent une baisse de la satisfaction à l’égard de la qualité de vie, en particulier au sein des classes moyennes. Comment expliquer cette insatisfaction?
- Jean-Pierre Chauffour: Le nouveau rapport de la Banque mondiale intitulé «Inégalité, soulèvements et conflits dans le Monde arabe» essaye d’apporter des éléments de réponse au paradoxe suivant: alors que les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (Mena) dans leur ensemble ont fait d’incontestables progrès économiques et sociaux au cours des années 2000, que ce soit en termes de croissance du PIB ou de réalisation des objectifs du millénaire, de nombreux peuples de la région se sont soulevés pour manifester leur mécontentement.
Les facteurs explicatifs de ces soulèvements ne semblent pas se trouver dans les critères économiques objectifs traditionnels. La pauvreté extrême dans la région Mena a globalement été éradiquée, les inégalités de revenu ou de richesse sont plutôt inférieures à celles observées dans d’autres régions du monde et n’ont pas augmenté significativement au cours de la période récente. Le rapport propose de résoudre ce paradoxe en observant que le degré de mécontentement que nourrissaient les populations à la veille du Printemps arabe ne pouvait se refléter dans les données macroéconomiques habituelles, enquêtes auprès des ménages, ou plus généralement dans les indicateurs standards d’inégalité, mais était visible dans les données d’enquêtes de valeur sur la qualité de la vie. Les enquêtes mondiales conduisent par Gallup avant 2011 indiquent très clairement une augmentation marquée de l’incidence de l’insatisfaction des personnes interrogées avec plusieurs aspects importants de la qualité de la vie: le manque de liberté, la mauvaise qualité des services publics, la corruption, les privilèges et le copinage.
La plupart des gens dans la région travaillent dans le secteur informel, n’ont pas de couverture contre les risques de la vie, doivent payer pour obtenir des soins ou une éducation de qualité. La perception est que le mérite et l’effort ne sont pas les valeurs cardinales pour progresser dans la société. Ces griefs sont les symptômes de problèmes structurels profonds dans les économies arabes …- Le contrat social dont vous parlez a-t-il évolué depuis 2011?
- En 2011, les peuples arabes ont parlé haut et fort, et exprimé leurs griefs. En dehors de la Tunisie et dans une certaine mesure du Maroc, les soulèvements n’ont pas apporté les changements espérés et la situation s’est même considérablement détériorée dans certains pays en proie désormais à des guerres civiles.
La plupart des griefs existants avant le printemps arabe semblent encore présents aujourd’hui. Les réformes économiques ont été ralenties ou suspendues dans de nombreux pays. Les obstacles structurels au développement économique perdurent dans l’ensemble de la région. Les guerres civiles en Syrie, Irak, Libye et au Yémen ont effacé des années de progrès en matière de développement et infligé des souffrances considérables et le déplacement de personnes à une échelle sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Dans plusieurs pays, les services de l’Etat se sont effondrés et de vastes zones sont contrôlées par des groupes terroristes. Les coûts de la guerre en Syrie et la propagation de Daesh ont coûté à la région du Levant environ 35 milliards de dollars en pertes de production au cours de la période de 3 ans depuis la mi-2011. Le contrat social est à réinventer dans de nombreux pays.
Propos recueillis par
Fatim-Zahra TOHRY
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