samedi 29 août 2015

Ralentissement temporaire ou crise durable. L’effondrement des marchés financiers chinois est symptomatique d’une crise économique de l’empire du Milieu. Quelles sont les conséquences de ce coup d’arrêt sur le Maroc et le reste du monde?

Jean-Marc Daniel, économiste, professeur à l’Ecole supérieure de commerce de Paris, nous éclaire sur l’impact de la crise chinoise sur l’économie mondiale.

- L’Economiste: Le coup de froid chinois peut-il contrarier la croissance au Maroc?

- Jean-Marc Daniel: La croissance au Maroc dépend plus de la situation européenne que de la situation chinoise. L’Europe, à part le cas grec, va mieux et elle entame son redressement cyclique avant le prochain ralentissement qui normalement ne devrait pas arriver avant 2017. En outre, le Maroc bénéficie du contre-choc pétrolier, ce qui allège la contrainte extérieure et rend soutenable à long terme une croissance qui pourrait atteindre 5% sans tension inflationniste particulière.

- L’Afrique doit-elle craindre la contagion?

- Une des composantes de la mondialisation actuelle est le développement de la concurrence. Cela tire les prix vers le bas, pour le plus grand bonheur des consommateurs qui accroissent leur pouvoir d’achat et pour le malheur des agents économiques qui ont tout misé sur un retour de l’inflation. Les pays qui souffrent le plus sont ceux qui ont fait dépendre leur développement essentiellement d’une rente sur les matières premières en se persuadant que la dynamique chinoise allait entretenir une rareté durable et donc une pression à la hausse sur les prix. Aujourd’hui, ils sont dans l’impasse car la Chine n’achète plus et de nouveaux vendeurs apparaissent. Sur le marché du pétrole, c’est spectaculaire. Les Etats-Unis sont devenus en 2014 le premier producteur mondial de pétrole. Les pays qui vont souffrir le plus sont donc les producteurs de pétrole n’ayant pas su profiter des périodes de «choc pétrolier» pour se diversifier. C’està- dire le Nigeria, l’Angola ou l’Algérie.

- Quels sont les pays susceptibles de tirer profit de ce ralentissement?

- En général, on a plutôt intérêt à ce que cela aille bien chez ses voisins. La croissance à long terme n’est pas un jeu à somme nulle où on construit sa richesse sur la prédation de celle des autres. A court terme, il n’en va pas toujours ainsi. Le moindre dynamisme chinois, en allégeant la pression sur les matières premières, favorise les pays qui en importent beaucoup. Par ailleurs, le repli de certaines activités chinoises manifestement non rentables comme le textile de base ouvre des perspectives pour des pays qui sont encore très dépendants de ce type d’activité comme le Viet Nam ou la Turquie. Néanmoins nous avons besoin d’une Chine qui se réforme et qui reparte en avant afin qu’elle soit un débouché solide pour les autres pays.

- Faut-il redouter une récession à l’échelle mondiale?

- Je ne pense pas. L’économie chinoise poursuit sa mutation et il était inenvisageable qu’elle puisse continuer à avoir éternellement des taux de croissance de l’ordre de 10%. Tout le monde s’attendait à un ralentissement. Il faut cependant être prudent. Le plus inquiétant est l’amateurisme des autorités de Pékin, qui fait suite à un assez grand immobilisme pendant la période de Hu Jin Tao. Les dirigeants chinois ont raté le passage d’une croissance portée par l’exportation de marchandises et par l’importation de technologie des pays plus avancés comme le Japon ou les Etats-Unis vers une économie portée par la demande de consommation intérieure et le développement de l’innovation. Et face à leur échec, elles ont opté pour des réponses inappropriées. En effet, la politique chinoise actuelle s’appuie sur deux piliers: la dévaluation et une re-légitimation du pouvoir par la lutte anti-corruption. Or, la dévaluation va surtout se traduire par une perte de pouvoir d’achat du consommateur chinois, notamment urbain, alors qu’il avait vocation à devenir le débouché premier de l’économie. Et la campagne anti-corruption, par son caractère arbitraire, paralyse les initiatives. Quoi qu’il en soit, l’économie mondiale a d’autres ressorts. En particulier, les Etats-Unis et l’Europe entrent dans la phase la plus favorable et la plus porteuse de leur cycle économique. Le problème est que, de cycle économique en cycle économique, cette phase débouche sur des taux de croissance de moins en moins élevés. A mon sens le monde souffre d’un mal dont le cas chinois est une illustration mais n’est pas la cause profonde. Depuis le krach boursier d’octobre 1987 et l’incapacité des grandes économies à stabiliser le système monétaire international malgré les accords du Louvre de février 1987, la réponse à toutes les difficultés a été une fuite en avant dans la dette. Nous sommes au bout de ce processus car le surendettement est général. En 2008, la crise des subprimes a révélé le surendettement des ménages américains. En 2010, la crise grecque a révélé le surendettement des Etats européens. En 2015, la crise de la Bourse chinoise révèle le surendettement des entreprises chinoises. La seule réponse de politique économique à ce surendettement a été et reste la recherche frénétique mais vaine d’inflation par les banques centrales. Il va falloir maintenant prendre le problème à bras-le-corps. Il sera d’autant plus facile à résoudre que nous retrouverons de la croissance. Cette croissance ne peut venir que de deux endroits: une amplification des gains de productivité dans les pays déjà développés, un accroissement des investissements et une augmentation des capacités de production dans les pays encore en rattrapage. En fait, la croissance de demain dépend de la Silicon Valley et de l’Afrique.

Ayoub IBNOULFASSIH



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