La vertu n’est pas de ce monde! Les élections loca1es et régionales du 4 septembre prochain témoignent bien de pratiques aux antipodes de la morale. Le Souverain dans son discours du 20 août n’a pas manqué de dénoncer en particulier l’achat de voix. Le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, s’est aussi fendu d’une circulaire mettant en garde contre les atteintes à la liberté de vote des citoyens pouvant émaner de l’appareil d’Etat ou d’autres acteurs. Dans cette même ligne, le ministère de l’Intérieur a annoncé vendredi dernier un mouvement partiel dans les rangs des agents d’autorité ainsi que des mesures préventives ou disciplinaires frappant des auxiliaires d’autorité. Au total, une fournée de 275 agents d’autorité..
C’est acquis, et il faut s’en féliciter. Mais est-ce suffisant? Rien n’est moins sûr. Les informations recueillies lors du scrutin des chambres professionnelles en date du 7 août courant sont passablement accablantes quant à la sincérité et à la régularité de ce vote. Comme par le passé, l’argent a beaucoup circulé. Des présidences ont donné lieu à des actes de corruption – jusqu’à 50.000 DH la voix. La traçabilité de cette opération a été entourée de mille et une précautions (pas de chèque évidemment). Mais tout se passe dans l’informel. L’administration serait-elle devenue sourde et aveugle pour ne pas investiguer dans ce domaine? Driss Lachgar, responsable de l’USFP, n’a pas tort de s’en étonner. Si le département de l’Intérieur paraît s’échiner à faire respecter la loi et les directives royales, il ne semble pas vouloir appréhender ce qui se passe hors du champ de ses agents d’autorité.
Pourquoi une telle situation? Quels facteurs poussent une partie du corps social à s’accommoder de telles pratiques et même à en être partie prenante? Il y a achat de voix parce qu’il y a des électeurs achetables. C’est tout le problème du clientélisme politique. Ce phénomène est-il distinct de la corruption? La science politique répond par l’affirmative: elle est un troc marchand alors que le clientélisme est un échange de faveurs contre des voix. Il est une corruption -échange social. Il repose sur un ensemble de pratiques instrumentalisant politiquement certains types de relations personnelles. A partir de relations de clientèle s’édifient alors des réseaux de clientèle. Cet acte social est fondé sur l’échange: de don et de contre-don: il est un mode de structuration. Mais si le clientélisme articule des relations de clientèle à la vie électorale et politiques, il s’associe à la corruption.
Cela dit, force est de faire ce premier constat: le clientélisme n’est pas une politique – il en est même le contraire. Il n’y a pas d’engagement citoyen sur un contenu ou des perspectives: c’est un engagement personnel d’homme à homme. Ce phénomène se constate de façon majoritaire lors des élections mais il prend davantage de dimension et de relief dans les collectivités locales. La décentralisation qui va s’élargir ailleurs avec la régionalisation crée ainsi une sorte d’effet de souffle. Les nouvelles collectivités territoriales que sont les douze régions font passer le marché du clientélisme politique dans un nouvel espace de plus grande dimension.
Le cœur du clientélisme est le lien avec une campagne électorale: «Au moment de l’élection, tu votes pour moi». Mais la contrepartie de l’échange social qui se fait précise souvent les termes de référence: argent, promesses d’embauche, faveurs diverses (autorisations…). Cet échange est généralement basé – outre le versement d’espèces initial – sur les moyens qu’offrent la commune et demain la région mais sur 1’imputation de l’argent public. Le «client» dans les filets n’a pas cependant un droit: il n’est pas à proprement parler un ayant droit, un allocataire. L’attribution de l’avantage promis reste en effet arbitraire. Ce marché se pose pratiquement en termes d’offre et de demande. Et la régionalisation va augmenter sensiblement la capacité de l’offre et ce compte tenu des attributions confiées aux régions dans les domaines économique, social, culturel…
La situation économique et sociale offre des conditions favorables au développement du clientélisme. Emploi, logement, habitat, équipement, infrastructures: autant de secteurs parmi tant d’autres où le déficit est grand. Le Souverain, dans son discours du Trône, le 30 juillet dernier, a donné le chiffre de 12 millions de personnes en situation de précarité; il y a donc là un grand marché de demandeurs et de clients potentiels pour le clientélisme. Tout un environnement social de communautés fragiles qui ont besoin d’aide, d’où qu’elle vienne, pour s’insérer.
Une autre interrogation regarde à cet égard un fait préoccupant: celui d’une certaine politisation de l’INDH par les élus locaux. Des phénomènes négatifs sont en effet apparus; ils sont même devenus souvent structurants dans le renforcement et même la rénovation du c1ientélisme. Le président de la commune ne résiste pas toujours à la création d’une ou de plusieurs associations autour d’objets spécifiques. Il se trouve qu’il est ès qualité à la tête du comité local de l’INDH appelé à décider des subventions demandées par lesdites associations créées par lui-même ou par des proches. Rien d’étonnant que le moment venu, les associatifs se mobilisent pour lui apporter des voix. A la fin décembre 2014, l’on ne comptait pas moins de 116.836 associations, un chiffre qui s’est multiplié avec le lancement de l’INDH en 2005. Le plus significatif c’est que 93% d’entre elles sont dans des quartiers et des douars – une implantation stratégique qui ne peut que donner des dividendes électoraux au «bienfaiteur» local.. L’on a même vu des associations se faire concurrence pour accrocher 1’intérêt de candidats ou de partis en mettant en exergue leurs relais électoraux dans leurs quartiers qu’auprès des bénéficiaires et de leurs cercles relationnels.
Le clientélisme se porte bien, semble-t-il. Il peut même pousser à la cristallisation d’une mobilisation collective. Des électeurs «clients» se mettent ainsi, dans de nombreux cas, en position de négocier leur vote en obtenant plus que la seule marchandisation des suffrages. Une relation de clientèle attestant d’une certaine politisation de ce type d’électeur. La majorité des spécialistes des sciences sociales pensaient, durant les précédentes décennies, que le clientélisme n’allait pas survivre à la modernisation démocratique. Ils estimaient que ce phénomène relevait d’un stade «traditionnel». De fait, il n’en est rien: il continue à être un ressort du fonctionnement concret des démocraties représentatives. Il participe d’une forme de régulation sociale qui lui a donné son statut actuel: celui d’un marché mature…
Le PJD, un clientélisme moral?
L’un des axes du discours PJD est bien la moralisation de la vie publique. Ses candidats s’attachent à mettre en avant leur responsabilité de bons gestionnaires ainsi que leur capacité à faire les comptes mais aussi à rendre des comptes. La rhétorique S de leur référentiel religieux n’est pas évacuée mais elle est supplantée par l’exigence de probité couplée à celle du dévouement au service des citoyens. La destitution de deux de ses édiles municipaux (Aboubakr Belkora à Meknès et Mohamed Hanini à Midelt) pour mauvaise gestion n’a pas crédibilisé cette profession de foi: tant s’en faut. Dans la politique locale, le PJD déploie ses efforts en direction des administrés et de leurs besoins sociaux; c’est une forme de médiation sociale et institutionnelle avec les électeurs. Il insiste sur la disponibilité de ses élus locaux et sur leur «politique du faire»: accompagnement administratif (requêtes, démarches, accélération des procédures), optimisation des services publics, multiplication des questions locales écrites au Parlement, déploiement d’activités sociales en articulation avec le maillage du tissu associatif. Un capital combinant l’éthique – de fondement religieux soit dit en passant – la proximité, l’écoute des citoyens et une gestion efficiente. Les urnes du 4 septembre permettront d’évaluer leur bilan.
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