mardi 22 septembre 2015

Le Maroc se développe et ses indicateurs sanitaires viennent le confirmer. En revanche, le pays reste très en retard en matière d’accès aux soins. L’Organisation mondiale de la santé relève plusieurs constats, dont l’insuffisance des ressources financières et humaines, l’équité du système, la qualité, l’efficacité… De passage au Maroc, le Professeur Sir Michael Marmot, chercheur en épidémiologie et santé publique à Londres, analyse les particularités et les limites de la pratique médicale au Maroc.- L’Economiste: Quelles sont les principales disparités sociales relevées dans la santé à travers votre expérience internationale?
- Pr. Michael Marmot: Je suis médecin, je commencerai donc par la santé. Mon souci est de constater les inégalités sociales dans chaque pays. Le constat est que l’espérance de vie ne dépasse pas les 40 ans dans certaines régions. Parfois, dans un même pays, il y a des écarts dans l’espérance de vie qui sont tributaires du statut social, de la richesse, des revenus… Des écarts importants qui peuvent aller jusqu’à 20 ans! Mais pourquoi tant d’années? L’on a tendance à penser que les soins de santé et la prise en charge ne sont pas les mêmes. Tout le monde doit avoir accès à une prise en charge et à des soins. Mais ce n’est pas le manque de soins sanitaires qui est à l’origine de la maladie en premier lieu. C’est la raison pour laquelle nous avons réalisé le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les Déterminants sociaux de la santé (DSS). L’objectif est de vérifier l’influence des conditions de vie, de l’âge… Plusieurs facteurs sociaux confirment ces inégalités sociales. Nous avons aussi pris en compte les conditions dans lesquelles l’individu naît, vit, grandit, vieillit et fait sa vie. Les ressources et les moyens renforcent ces inégalités.- Faut-il séparer politique et médecine?
- Les médecins en général pensent que leur rôle consiste à traiter des pathologies. Mais au niveau de l’OMS, l’on se pose des questions de ce genre. En plus, si l’on traite des maladies, on soigne des patients… pourquoi les renvoyer dans des lieux où ils ont contracté ces mêmes maladies?  Je viens de publier un livre «The health gap» (l’écart de santé). Le livre pose ces questions et revient sur la notion de fossé. A mon avis, en plus du traitement,  les médecins doivent s’intéresser aux conditions de vie de leurs patients. C’est dire qu’un médecin doit intégrer l’approche systémique, pour pouvoir agir largement.- Comment vous appréciez l’évolution de la santé au Maroc?
- Je pense que le Maroc est devenu nettement plus riche en quelques années. Par conséquent, la santé s’est améliorée de manière importante. Le défi est de réduire les écarts entre les plus riches et les plus pauvres afin de relever le niveau d’accès aux soins des plus démunis.- Quelles sont les pistes d’amélioration pour relever le niveau de santé au Maroc?
- Il va falloir focaliser les efforts sur la santé infantile et améliorer la situation des personnes âgées. Pour y arriver,  il est impératif d’améliorer l’éducation, l’emploi ainsi que les conditions de travail. Ce qui passe aussi par l’amélioration du revenu minimum. Par ailleurs, il va falloir agir au niveau des collectivités locales. Bien évidemment, cela relève des pré-requis de la politique nationale de l’Etat, avec la prise en compte de l’équité en général.- Le business de la santé est-il toujours compatible avec la déontologie médicale?
- Dans le rapport, nous avons pris en compte ce volet. Le principe fondamental de la couverture universitaire de la santé, abstraction faite des moyens, c’est justement le fait que tout le monde ait accès aux mêmes soins. Les inégalités de la santé naissent des inégalités sociales, le citoyen moyen ne devrait pas être en situation de ne pas pouvoir bénéficier de services de santé.

Parcours

Le Professeur Sir Michael Marmot est chercheur en épidémiologie et santé publique à Londres, où il dirige également l’Institut pour l’équité en santé connu aussi sous le nom de l’Institut Marmot. Il est aussi directeur de l’International institute for society and health. Il dirige un groupe de recherche sur les inégalités sociales de la santé. Une étude basée sur les déterminants sociaux de la santé (DSS) sur les 30 dernières années. Le professeur-chercheur est aussi vice-président de l’Academia Europaea (association européenne qui regroupe 2.000 personnalités de 35 pays européens et de 8 pays non européens). Les travaux de recherche de Marmot l’ont mené devant la Reine d’Angleterre en l’an 2000, date à laquelle il a été anobli pour services rendus à l’épidémiologie.
En 2004, il remporte le Prix Balzan pour l’épidémiologie et devient président de la Commission sur les déterminants sociaux de la santé à l’OMS en 2005. Le professeur ne s’arrête pas en si bon chemin et rafle un autre prix: le Graham B. William pour la recherche des services de santé en 2008. Après 35 années de recherches sur les inégalités sociales, Pr Marmot vient de publier cet été un livre intitulé «The Health Gap», où il revient sur les inégalités dramatiques en matière de santé, entre et au sein des pays, et les moyens de les réduire. Le chercheur prendra cette année la présidence de la World Medical Association.

Propos recueillis par
 Sabrina EL-FAÏZ

45% des médecins sur l’axe Casa/Rabat

L’accès aux soins dépend aussi des revenus/dépenses par foyer. Entre 2000 et 2012, la part de dépenses des 10% les plus pauvres a baissé de 2,6 à 2,1%. Parallèlement, les 10% plus riches ont augmenté leur part de dépenses passant de 32,1 à 36,8%. Les plus pauvres n’ont d’autre choix que de se rendre dans les centres publics de soins, souvent dénués de tous moyens. Ce qui soulève encore une fois les limites de la carte sanitaire et de la répartition de soins. En effet, l’axe Rabat/Casablanca compte à lui seul 45% de médecins (près de 1 praticien sur 2 affecté à Casa-Rabat).
 Les zones enclavées et le monde rural sont les principales victimes de ces affectations. Depuis quelques mois, la tutelle tente de trouver des solutions à ce problème via le service obligatoire et le temps plein aménagé (TPA).
Pour atténuer les disparités, le gouvernement ressort la carte de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) et du Régime d’assistance médicale (RAMED). Pour la tutelle, la couverture médicale au Maroc a atteint les 60% en mai 2015 et devrait évoluer jusqu’à 90% après «l’implémentation de l’assurance maladie pour indépendants. Une couverture qui devrait toucher 11 millions de personnes», relève l’étude. Les résultats de celle-ci ont été obtenus sur la base des chiffres déjà disponibles (allant de 2010 à 2015). De plus, un groupe a été choisi par le ministère de tutelle pour débattre de 10 programmes et interventions sanitaires, en utilisant le modèle Pathway de la Commission sur les DSS de l’OMS. Les programmes correspondent à trois groupes: deux programmes de lutte contre certaines maladies transmissibles. Quatre programmes de prévention et de surveillance sanitaire (contrôle sanitaire des eaux, hygiène alimentaire, santé scolaire et universitaire, promotion de la santé des jeunes…). Enfin, quatre derniers programmes dits communautaires.



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