Oui, il faut se féliciter que le scrutin local et régional du 4 septembre courant ait eu lieu. Il consacre le respect d’un calendrier électoral et – plus encore – la nouvelle collectivité territoriale qu’est désormais la région érigée à ce statut par la Constitution de juillet 2011. Il conforte également la pratique démocratique avec une trentaine de partis en compétition; à ce titre, il confie aux électeurs la possibilité de faire le choix de leurs représentants dans ces institutions décentralisées. Mais, pour autant, les citoyens ont-ils répondu massivement à ce rendez-vous? Rien n’est moins sûr au vu d’un rappel de chiffres significatifs. Le ministre de l’Intérieur, Mohammed Hassad, ainsi que son collègue de la Communication, porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi (PJD), se sont épanchés pour faire part de leur satisfaction – chacun d’ailleurs pour des raisons propres… Il reste que de fortes interrogations ne peuvent guère être évacuées ni même minorées. La première d’entre elles regarde la dimension du corps électoral. Le 4 septembre, l’on avait 15,5 millions d’électeurs inscrits, soit 2,14 millions de plus que lors du scrutin local de juin 2009. Deux révisions de listes électorales ont eu lieu en 2015, l’une ordinaire en février et l’autre exceptionnelle en août, soit un total de 2,8 millions de nouveaux inscrits – respectivement 1,7 et 1,1. Question: le compte n’est pas bon: où sont passés plus de 600.000 d’entre eux?
Mais il y a plus. Quelle est en effet la population en âge de voter en 2015? Personne ne le dit et ne s’en préoccupe. La seule indication fiable est celle d’une enquête du HCP de 2011 retenant à cette date 21,3 millions de citoyens. En actualisant ce chiffre sur la base du recensement de septembre 2014 et en ne retenant que la fourchette la plus basse, cela donne quelque 22 millions de personnes. Il s’en suit que les 8,32 millions de votants le 4 septembre n’en représentent qu’un peu plus du quart (26,4%); un chiffre voisin du palier de 2009 avec 7 millions de votants sur une population potentiellement électrice d’une vingtaine de millions. Qu’en conclure? Que la base électorale de la démocratie en construction reste passablement étriquée; que les élus locaux et régionaux ne représentent seulement qu’un petit tiers, voire un bon quart de l’ensemble de la population; et que partant leur légitimité est bien réduite faute d’une mobilisation générale des citoyens. Un autre fait pousse dans ce sens, même s’il est de nature différente: celui des bulletins nuls, de l’ordre d’un bon million, même si le département de l’Intérieur persiste à ne pas en donner le chiffre exact… Cette catégorie de bulletins relève pour une part de ce que l’on pourrait appeler l’ »incompétence électorale », 40% des votants étant analphabètes; mais le reste s’apparente à un vote plein de sens traduisant l’accomplissement d’un devoir civique refusant ou récusant l’opération même de vote – des candidats, des partis ou encore de ce « système » qui n’a pas leur adhésion.
A cet égard, la mise en œuvre de la parité consacrée par la Constitution (art. 19, al. 2) reste encore à la peine. L’on ne compte en effet que 45% d’électrices alors que les femmes représentent 52% de la population. Si une nouvelle législation a prévu un minimum de 26% de membres féminines dans les conseils communaux et régionaux – un seuil pouvant d’ailleurs grimper jusqu’à 37% –, il reste bien des pesanteurs. Ainsi, il n’a été enregistré que 22% de candidates au scrutin communal et 38% au niveau régional. Assurément, il s’agit là d’une avancée mais celle-ci paraît de nouveau se heurter à un « fameux plafond de verre » qui voit qu’aucune femme n’a été élue à la présidence de l’une des douze nouvelles régions. Quel message négatif alors que le Royaume se distingue par le nouveau code de la famille et que le Souverain a fait de la promotion de la condition féminine inscrite dans une perspective de parité l’une des réformes-phares de la modernité – du projet de société!
Quel désaveu aussi apporté à la volonté des électeurs quand ceux-ci ne retrouvent pas, au niveau des présidences de régions en particulier, le respect de leur choix ni celui des engagements pris par les partis de la majorité et de l’opposition! La première n’a pu ainsi décrocher que 5 présidences du fait de la défection du RNI au profit du PAM; d’autres partis n’ont pas été plus conséquents. De quoi nourrir le fort sentiment d’une partie des électeurs d’avoir été » floués » par leurs représentants et les partis qui les ont parrainés. Ce qui n’est pas de nature à réhabiliter la politique, telle qu’en elle-même, aux yeux du citoyen – pourtant, une profession de foi… de ce même PAM!
C’est le lien social qui est ainsi en cause, ce qui n’est pas sans conséquence sur le vouloir vivre et agir ensemble dans une communauté. La démocratie n’est pas qu’un ensemble de mécanismes et de procédures de gestion régulée – apaisée? – des conflits ouverts et négociables selon des règles d’arbitrage connues. Elle est également attachée au statut de la modernité. Il s’agit d’assumer l’idéal de respect de la pluralité du corps social sans en compromettre les liens de solidarité. En l’état, aujourd’hui, la transition démocratique reste encore fortement lestée par des charges freinant, voire compromettant la dynamique pourtant à l’ordre du jour.
Mal-représentation
Au-delà de la situation électorale actuelle du Maroc, la problématique démocratique préoccupe la réflexion théorique politique. Pierre Rosanvallon, professeur au collège de France, vient de publier en cette rentrée un nouvel essai « Le Bon Gouvernement » (Seuil, Paris, 2015, 416p.). Il estime que si certains régimes sont démocratiques, d’un point de vue technique et juridique, la gouvernance démocratique, elle, n’est pas établie. Et il dessine les contours d’une nouvelle révolution démocratique de nature à permettre l’avènement d’une vraie démocratie d’exercice, fondée alors sur la confiance et l’appropriation citoyenne de ses ressources.
Il y a là, selon lui, un « grand hiatus » qui nourrit « le désenchantement et le désarroi contemporains ». Ce que l’on vit, c’est l’âge d’une démocratie « atrophiée », confrontée au déclin des partis et des syndicats mais aussi à la non-représentation des nouvelles figures du social. Et l’expression citoyenne, fortement appauvrie, n’a pas d’autre choix que de se manifester par l’abstention ou de manière protestataire. Un nouveau rapport entre gouvernants et gouvernés s’impose; il doit activer une démocratie revitalisée permettant enfin aux citoyens de contrôler réellement les institutions de représentation et les politiques publiques. Prolonger la « démocratie d’autorisation », celle du système d’élection, à une vraie « démocratie d’exercice » articulée autour de la lisibilité, la responsabilité et la réactivité: voilà l’axe central. Ce serait alors une démocratie d’appropriation mais aussi de confiance.
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