samedi 29 février 2020

Selon l’Organisation mondiale de la santé, seuls trente-huit pays à travers le monde sont dotés d’une stratégie de prévention du suicide. Et le Maroc n’en fait malheureusement pas encore partie. Un projet en chantier depuis 2018 n’a pas encore abouti. Ses premiers axes ont été retenus et font l’objet de discussions et de consultations avec la société civile. Laquelle s’impatiente et déplore le retard pris à ce niveau par le pays. L’association «Sourire de Réda», très active sur ce dossier, tient à souligner «qu’il faut désormais élaborer une stratégie nationale afin de prévenir les passages à l’acte dont les suicides et tentatives, mais aussi les autres types de passages à l’acte que peuvent être les addictions, les troubles alimentaires ou comportementaux, la radicalisation… Si notre travail en tant qu’association a été de lever le tabou, la prévention ne peut se faire qu’avec tous les acteurs principaux nationaux».
En attendant l’adoption d’une stratégie de prévention du suicide, l’association mène campagne, depuis sa création en 2009, contre ce fléau afin de sensibiliser aussi bien les adultes que les jeunes. Cette année, et depuis le 3 février, elle a lancé sa campagne annuelle dont le message est «#Parle-t-on émotion». Deux semaines durant, cette campagne devra encourager les jeunes à parler de leurs problèmes afin de se faire aider par leur entourage. Le choix de ce message s’inscrit dans la continuité des deux dernières campagnes «Stop Silence» et «Ana M3ak». C’est une démarche progressive d’approche de l’ensemble de la société et particulièrement de la cible prioritaire de l’association «Sourire de Réda», notamment les jeunes. Ainsi, «Stop Silence», la première campagne les invitait à parler du suicide et à lever le voile sur ce tabou qui a endeuillé de nombreuses familles sans que celles-ci n’aient pu en parler en raison des pressions sociales et des considérations religieuses. Avec «Ana M3ak», un message de mise en confiance, l’association tendait la main aux jeunes pour leur signifier que leur entourage, parents, amis, voisins et enseignants sont présents et peuvent être sollicités en cas de mal-être. L’actuelle campagne va encore plus loin en invitant les jeunes à exprimer leurs émotions et à mettre un nom sur leurs souffrances afin de les dépasser et de se faire aider.
L’expression des souffrances est, selon Meryem Bahri, directrice de «Sourire de Réda», «importante, car il y a une confusion chez les jeunes au niveau de leurs émotions et ils n’arrivent pas exprimer leurs sentiments. C’est pour cela que nous avons organisé des ateliers avec des jeunes bénévoles qui nous ont aidés à comprendre les mots utilisés par les jeunes et mieux comprendre aussi leur état d’esprit».
Officiellement, on compte 1014 suicides au Maroc
L’actuelle campagne se focalise sur l’éducation émotionnelle des jeunes. Et pour cela, l’association «Sourire de Reda» expérimente un nouvel outil, «La roue des émotions». Celle-ci permettra aux jeunes de formuler huit émotions de base dans leur langage exprimé en «darija». Cette roue vise à fournir aux personnes souhaitant venir en aide aux jeunes en souffrance les outils nécessaires pour mettre des mots sur leurs ressentis et créer un langage accessible à tous. C’est grâce, d’une part, au travail des jeunes bénévoles et de leur connaissance du terrain, et, d’autre part, à sa plate-forme d’écoute que Stop Silence a pu mettre en place et expérimenter «La roue des émotions».
L’expression des sentiments et du ressenti permet aux jeunes de retrouver la sérénité et de s’éloigner des désirs de passer à l’acte. «En effet, le silence conduit forcément le jeune à l’isolement et au passage à l’acte qui peut se manifester par une violence envers lui-même, envers les autres, notamment une conduite à risques, un meurtre et l’étape ultime : le suicide», explique la directrice de l’association. Par ailleurs, cette roue pourra être utilisée pour faciliter la communication entre un adulte, notamment un parent, un enseignant ou un ami et un jeune en détresse. Le but, précise la directrice de l’association, est de connecter le jeune à son environnement et le pousser à identifier son mal-être et s’approprier ses sentiments et son ressenti afin de dépasser ses souffrances.
Souffrances qui ont conduit, selon le rapport annuel de l’Organisation mondiale de la santé, 1014 personnes à commettre l’irréparable. Une statistique, la seule et qui remonte à 2016, qui ne reflète pas du tout, selon l’association, la réalité du terrain, puisqu’elle ne concerne que les suicides déclarés. En réalité, le nombre de suicides est beaucoup plus important, sachant que plusieurs cas ne sont pas déclarés et donc non répertoriés par la police pour des raisons sociales et religieuses. L’absence de chiffres relatifs au suicide est aussi due à l’inexistence d’un registre des suicides sur lequel devraient être reportés régulièrement les suicides dans les diverses régions du pays. Un registre impliquant plusieurs départements, notamment les ministères de l’intérieur, de la santé et également la police.
Toujours selon le rapport de l’OMS, le suicide constitue, après les accidents de la circulation, la deuxième cause de décès chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans. Et c’est la deuxième cause de décès chez les jeunes filles, et la troisième chez les garçons. Ce rapport retient également que sur les 1014 suicides, 400 ont concerné des hommes et 613 des femmes. Globalement, le rapport de l’OMS conclut que le taux de suicide au Maroc est de 5,3 pour 100000 personnes. Avec 2,5 cas de décès par suicide pour 100 000 habitants, le Maroc a le plus faible taux de suicide dans le monde arabe, selon une cartographie de l’Organisation mondiale de la santé. Cependant, au niveau du Maghreb, le Royaume est au premier rang des pays maghrébins où les femmes se suicident plus que les hommes. Alors qu’en Algérie, ce sont 339 femmes qui se sont suicidées contre 960 hommes et en Tunisie, 132 femmes se sont donné la mort contre 250 hommes. Mondialement, le rapport retient que 79% des suicides ont lieu dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les pays à revenu élevé ont le taux le plus élevé (11,5% pour 100 000 habitants). Près de trois fois plus d’hommes que de femmes mettent fin à leurs jours dans les pays à revenu élevé, alors que dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les différences entre hommes et femmes sont plus ténues, note l’OMS dans son rapport.
Celle-ci précise par ailleurs que les méthodes de suicide les plus courantes sont la pendaison, l’auto-empoisonnement par les pesticides et enfin l’utilisation des armes à feu. Mais, de manière plus détaillée de l’analyse des moyens de suicide, on retiendra que les intoxications médicamenteuses, notamment des psychotropes ou bien des antibiotiques sont les plus courantes. Et ce sont les femmes qui recourent le plus à ces produits. Il y a ensuite les produits utilisés pour l’agriculture, les insecticides, les raticides ; l’ingestion des produits ménagers comme l’eau de javel ou l’acide. Par ailleurs, il y a également les chutes de hauteurs élevées ainsi que la défenestration. Enfin, on notera que durant ces dix dernières années, l’utilisation des armes à feu et l’immolation sont de plus en plus fréquentes.
Pour l’association, si le moyen de se suicider est accessible, il y a un plus grand risque de passer à l’acte. C’est pour cela, soulignent les responsables de «Sourire de Réda», qu’il est opportun et nécessaire de contrôler et réglementer la distribution de certains produits nocifs et dangereux afin de réduire le risque. Une mesure qui devrait être envisagée dans le cadre de la stratégie nationale de la prévention du suicide. Outre ces mesures, il faut également agir au niveau des populations concernées et en particulier les jeunes en adoptant des politiques de lutte contre l’alcoolisme et l’usage des drogues, de sensibilisation en milieu scolaire et de renforcement du dépistage et de la prise en charge des maladies mentales. L’association, à travers ses campagnes de sensibilisation, interpelle les pouvoirs publics, et particulièrement le ministère de la santé, pour mettre en place des mesures d’accompagnement en vue d’aider les jeunes, et les moins jeunes aussi, afin qu’ils ne se sentent pas seuls et abandonnés face à leurs problèmes….
Suicide : Questions à Meryem Bahri, Directrice de «Sourire de Réda»



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