vendredi 6 mars 2020

Pour les islamistes, «l’islam est un dogme, une croyance… un culte, une patrie, une citoyenneté». Cette vision qui englobe l’ensemble de la vie des musul­mans n’accorde aucune place au libre arbitre dans la mesure où l’individu est un élément de la Oumma (la commu­nauté des croyants)», résume Kader A. Abderrahim, chercheur à l’IRIS, spécia­liste du Maghreb et de l’islamisme, et maître de conférences à SciencesPo (Pa­ris).Il vient de publier un livre intitulé: «Géopolitique de l’Etat islamique» aux Editions Eyrolles. Une collection dirigée par Pascal Boniface. «Ce livre consti­tue une précieuse mise en perspective. Il permet d’appréhender le phénomène Daech dans sa globalité, d’en saisir les nombreuses ramifications et d’en com­prendre les multiples impacts», com­mente Pascal Boniface.A travers cet ouvrage, l’auteur ana­lyse comment Daech s’est imposé au Moyen-Orient. Comment les Etats-Unis luttent-ils? Autant de questions qui tra­versent l’actualité… «Des clichés à la réalité, l’ouvrage nous parle des lieux, des faits et de chiffres pour nous aider à y voir plus clair», note l’éditeur. Ins­piré des recherches les plus récentes sur le sujet, l’ouvrage propose 40 fiches documentées pour cerner les enjeux et les défis de ce phénomène mondial. L’ensemble est illustré de cartes, gra­phiques, chiffres et tableaux.D’emblée, l’auteur revient sur le contexte fondateur des Frères musulmans (par Has­san Al Banna en 1928) et les objectifs de ce mouvement qui aspire à «restaurer le califat islamique» (Voir encadré). Le chercheur précise que «dans la plupart des cas, les islamistes sont en opposition avec le modèle occi­dental et prônent la réappropriation de la culture d’origine. Le projet politique des islamistes repose sur cette démarche et vient proposer une alternative au modèle dominant. Sur le plan doctrinal, ils s’ar­rogent l’interprétation des textes, sou­vent dans un sens littéral, ce qui explique l’existence de plusieurs courants, parfois divergents».C’est dans ce contexte pré­cis qu’il y a eu irruption de l’Organisa­tion Etat islamique (OEI) au milieu des années 2000. Un mouvement qui a eu l’effet d’un séisme puisqu’il a contribué à l’éclatement de plusieurs pays comme l’Irak, la Syrie, le Yémen… «La violence politique de Daech s’inscrit dans un contexte historique tel qu’il ne prendra fin qu’avec la résolution de problèmes en suspens depuis plus d’un demi-siècle (question palestinienne, revendications kurdes, démocratisation, relations avec l’Oc­cident…)», soutient Kader A. Abderrahim. Daech a aussi trouvé un terreau fertile en ce sens que l’Organisation continue de jouer des divergences et des incohé­rences du monde actuel.«L’incapacité à penser le monde et un nouvel équi­libre mondial dénotent également la rupture entre des perceptions multiples du monde: américaine, chinoise, euro­péenne ou russe. Les fossés conceptuels entre ces acteurs illustrent le chaos dans lequel est plongé le Moyen-Orient…», explique l’auteur du livre.A l’incerti­tude qui entoure l’avenir du Moyen-Orient s’ajoutent des inquiétudes liées au terrorisme qui modifie nos compor­tements quotidiens et s’enracine dans les pratiques institutionnelles, résume le géo-politologue et spécialiste de l’islamisme. Parmi les facteurs qui ont favorisé la prolifération de l’OEI, les ruptures entre Sunnites et Chiites ou encore les mouvements rigoristes (Wa­hhabisme/Salafisme). C’est ce qu’on appelle «la Grande discorde», en ce sens que la conception de la foi se caracté­rise par l’absence d’intermédiaire entre le croyant et Dieu chez les Sunnites. L’imam ne fait que transmettre la parole du Prophète, expliquée grâce à la Sunna.En revanche, le chiisme se caractérise par un clergé très hiérarchisé, où l’imam, descendant d’Ali, est le représentant de Dieu. Quant au Wahhabisme, c’est un courant du salafisme, un mouvement particulièrement rigoriste de l’islam. Le wahhabisme est donc le pendant pra­tique applicatif du salafisme. Ces deux doctrines ont une dimension politique importante. Ils sont nés et se développent dans des contextes très différents, mais tendent aujourd’hui à se rapprocher. «Daech est explicitement salafiste et s’inspire, pour le moins, du Wahha­bisme», précise l’auteur. Finalement, le projet politique Daech aura pu piéger les démocra­ties occidentales.L’OEI aura réussi à imposer au Moyen-Orient un agenda diplomatique et une nou­velle vision de la région… «Sur le terrain, les alliés de la coalition internationale sont ceux qui ont contribué à l’ef­fondrement de l’Irak et en partie de la Syrie, entraîné une guerre entre Sunnites et Chiites et laissé déclencher des conflits gigognes au Yémen, en Libye… C’est sur les ruines de l’Irak et le chaos syrien que les dirigeants de Daech ont opportuné­ment réussi une progression militaire fulgurante et une implantation dans des zones très éloignées du Moyen-Orient (Afrique, Maghreb, Asie…) Daech est la conséquence directe de la dislocation des Etats du Proche Orient, les régimes sur place n’ayant plus les moyens d’assurer une recomposition sociale et politique», analyse Kader A. Abderrahim.Ce qui surprend le plus chez l’OEI, c’est son attractivité et sa capacité à recruter des «terroristes étrangers». L’on estime qu’il y aurait entre 25.000 et 30.000 combat­tants étrangers à Daech. Ils ont été recru­tés pour la plupart grâce à une redoutable machine de communication de Daech via les réseaux sociaux.A partir de 2014, année de la proclamation du Califat, ils étaient jusqu’à 1.500 étrangers recrutés par mois, selon le Pentagone. Parmi les pays d’origine comptant plus d’un mil­lier de Jihadistes ayant intégré Daech, fi­gurent la Tunisie (6.000), l’Arabie saou­dite (2.500), le Maroc (2.000), la France (1.500), la Russie (1.500), la Turquie (1.300)… Les Etats sont généralement frileux à communiquer sur ce phéno­mène. Car il y a le retour de la manivelle.En effet, le retour des combattants a été enclenché depuis 2015, avant les grandes défaites de Daech. Les pays du Maghreb sont particulièrement vulnérables à cette menace de retour des combattants. En 2019, 3.000 djihadistes seraient revenus dans la région.                                                                                    Un terme qui diviseSelon Kader A. Abderrahim, l’islamisme est un terme assez ambigu. C’est un courant de pensée politique qui apparaît au tout début du XXe siècle. Il est soit une doctrine et un support idéo­logique de l’action politique, soit une déviance qui instrumentalise l’islam et dont l’objectif est de parvenir à renverser le système politique d’un Etat afin d’ins­taurer la Chariaa, la loi islamique.Mais attention, l’islamisme repose sur une idéologie interprétative, à différencier de l’islam en tant que spiritualité, en tant que foi. Il va sans dire, le terme divise parce qu’il recouvre plusieurs réalités politiques, sociales, géographiques et culturelles. Les origines de la confrérie des frères musul­mans remontent à 1928.Le mouvement a été fondé à Ismaïlia, non loin d’Alexan­drie en Egypte. Il a été d’abord constitué contre l’occupant britannique (présent en Egypte et en Palestine). L’Organisation se fixe comme objectif de remettre l’islam au coeur de la société égyptienne, voire au-delà dans le monde arabo-musulman.L’organisation a été fédérée par un guide: Hassan Al Banna, qui a été élu par une assemblée de 15 sages, appelée «Shoura». Elle se développe au début par la défense de la cause palestinienne. Symbole du mé­contentement populaire après la guerre de 1948 contre Israël, l’organisation est inter­dite en Egypte. Son fondateur (Al Banna) a été exécuté après l’assassinat du chef du gouvernement égyptien. Dès lors, les Frères musulmans s’éparpillent dans les pays entre illégalité, clandestinité, répres­sion et réhabilitation politique.Mais atten­tion, «l’islamisme n’est pas aux origines du terrorisme», tient à préciser l’auteur. Et d’ajouter: «Dans tous les cas, les personnes qui basculent dans le terrorisme sont pas­sées par un islamisme plus ou moins affir­mé. Pour autant, l’islamisme ne conduit pas systématiquement au terrorisme».Amin RBOUB 



from MarocPress.com https://ift.tt/2PNheS3

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire