mercredi 19 février 2020

Pour les acteurs économiques, il est fondamental que le cadre légal et réglementaire dont fait partie le volet fiscal soit un cadre incitatif et qu’il pousse les entreprises vers une meilleure structuration du point de vue de la gouvernance et des dispositifs de management adoptés. Une étude récente publiée par le HCP montre clairement que les dirigeants d’entreprises marocaines sont loin de percevoir en 2019 que le cadre fiscal marocain joue ce rôle incitatif et y perçoivent plutôt une contrainte à leur ouverture sur des stratégies plus ambitieuses. Le projet de Loi de finances de 2020 vient cependant apporter quelques améliorations à cet égard. En effet, le projet intègre un amendement qui exonère de l’IR les personnes physiques qui procèderaient à l’apport de l’ensemble des titres de capital qu’elles détiennent dans une ou plusieurs sociétés à une société holding.
A la différence de la disposition fiscale datant de 2014 et qui permettait la même manœuvre, cette fois-ci le projet paraît plus logique, puisqu’il ne fixe aucune limitation dans le temps. Pour appréhender le véritable enjeu d’une telle disposition, il faut rappeler que 90% des entreprises marocaines sont familiales. L’enjeu pour le législateur, aujourd’hui plus que jamais, est de renforcer la pérennité de cette catégorie d’entreprises qui joue un rôle stabilisateur fondamental. Or, c’est là que le bât blesse, plusieurs facteurs font que nos entreprises familiales sont fragiles et peu d’entre elles réussissent à dépasser la deuxième génération. Les résultats des études menées par la chaire « Entreprises Familiales au Maroc » de ESCA Ecole de Management montrent que l’une des faiblesses congénitales à ce type d’entreprises est leur incapacité à éclaircir l’interface entre les deux sphères que sont l’entreprise et la famille et assurer la succession de manière claire et anticipée. L’entremêlement entre la propriété et le management font que les dirigeants familiaux gèrent leurs entreprises dans l’intérêt de la famille et non pas en tant que personnes morales ayant leur propre intérêt social. Cette confusion a des conséquences néfastes. La holding familiale offre de ce point de vue plusieurs avantages dont sa capacité à permettre une meilleure dissociation entre le capital et le pouvoir, ce qui permet au fondateur de transmettre à l’un de ses héritiers le contrôle de la société, sans léser pour autant ses autres héritiers d’un point de vue patrimonial. Elle offre aussi la possibilité dans le cas des groupes familiaux d’organiser la direction des sociétés entre les frères et les sœurs tout en gardant la stabilité du capital social des entités faisant partie du giron du groupe. A titre d’illustration, un fondateur peut désigner chacun de ses enfants à la tête d’une des sociétés du groupe familial en organisant la propriété et la répartition du capital social entre les enfants au sein d’une holding familiale, celle-ci possédant directement les sociétés d’exploitation. Un tel levier juridique permet d’éviter les aléas de l’indivision et de coupler la méritocratie managériale à l’impératif de l’équilibre familial. Les fondateurs peuvent aussi prévoir dans le cadre des statuts de la holding des clauses dédiées à assurer la préservation du contrôle familial. A titre d’illustration, les clauses de préemption obligent un éventuel associé familial qui souhaite céder ses parts sociales à les transmettre en priorité au sein du cercle familial.
La holding permet aussi une sécurisation juridique des entreprises familiales structurées en groupes en évitant aux dirigeants de se retrouver dans des positions de non-conformité eu égard aux dispositions légales. A titre d’illustration, les dirigeants peuvent, en organisant la remontée des dividendes à la holding, assurer l’appui financier des sociétés appartenant à la famille et engagées dans des programmes d’investissement intenses ou passant par des périodes de conjoncture tendues. En effet, tant la loi sur les SA que la loi relative aux établissements de crédit et organismes assimilés interdisent expressément les conventions de prêt entre des sociétés indépendantes juridiquement. Or, quand on scrute le cas des entreprises familiales, on relève que de tels mécanismes de financement reliant les sociétés appartenant à la famille sont des pratiques quasi courantes. De tels risques sont ignorés par les chefs des entreprises familiales. Le dispositif juridique de la holding permet de conforter la position juridique des chefs des entreprises familiales de ce point de vue et offre une plus grande transparence aux opérations internes aux groupes familiaux.
L’apport du projet de Loi de finances est donc de taille. Le fait de ne pas limiter dans le temps cette disposition est pédagogiquement essentiel puisque aujourd’hui conscience est prise qu’il ne suffit pas d’insérer un article dans le Code général des impôts pour que les entreprises familiales prennent une telle décision. L’impact effectif dépendra de la sensibilisation qui sera menée pour rendre nos dirigeants conscients de l’importance de la manœuvre juridique. La sensibilisation a besoin d’accompagnement et se réalise dans la durée. La question reste posée sur les dispositifs d’accompagnement prévus à cet égard. Enfin, nous insistons sur le fait que la volonté du législateur d’inciter les entreprises familiales à s’organiser en holding, si elle est louable, reste insuffisante, si elle n’est pas accompagnée d’un autre ajustement au niveau du cadre fiscal spécifique aux groupes d’entreprises : celle de l’intégration fiscale. S’organiser en groupes juridiquement c’est aussi raisonner en termes de stratégie et de management en tant que groupe. Or, la variable fiscale est importante dans la prise de décision. Il serait logique dans ce cas de permettre aux groupes familiaux de raisonner fiscalement de manière unifiée et homogène sur leur résultat fiscal et leurs manœuvres d’optimisation fiscale et non de manière éclatée par sociétés faisant partie du groupe.
En conclusion, nous insistons sur le fait que le cadre fiscal est d’abord une question d’équilibre entre la citoyenneté, l’équité fiscale et l’efficacité de l’impact. A défaut de raisonner nos cadres légal et réglementaire dans cette vision, ceux-ci demeurent partiels, et «tout ce qui est partiel est partial !», dixit Aimé Césaire.
 
                                                                                                       Taib Berrada El Azizi, Enseignant à l’ESCA, Ecole de Management
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