mercredi 1 juillet 2015

LE tour très aigre que prennent les négociations entre la Grèce, l’UE et le FMI, comme le referendum qui vient d’être annoncé, imposent de rappeler quelques réalités et de prendre une nouvelle direction.
La réalité c’est qu’en dépit d’une idée répandue et des lamentations de quelques fonctionnaires du FMI ou de quelques membres de son conseil d’administration, c’est à bon droit que le Fonds a participé au programme grec et qu’il l’a fait aux côtés de l’UE. Le FMI n’avait d’ailleurs pas d’autre choix puisque la Grèce était un Etat membre qui souhaitait bénéficier d’une assistance financière, parce que fin 2010 la zone euro était un risque systémique pour la stabilité financière mondiale.
Le FMI n’avait aussi pas d’autre choix que de le faire avec l’Union européenne, comme il venait de le faire en 2009/2010 avec un certain succès en Hongrie, en Roumanie et en Lettonie; comme il devra continuer à le faire partout dans le monde en participant à la mise en place de filets de sécurité régionaux. Il s’agit-là d’une évolution historique du système monétaire international qui est inévitable en raison de la montée en puissance des groupements régionaux mais qui est souvent sous-estimée.
Le FMI ne s’est pas trompé non plus en accordant à la Grèce un accès exceptionnel à ses ressources et en acceptant, même à regret, de retarder la réduction de sa dette jusqu’à l’été suivant en 2011 (ndlr: DSK a démissionné du Fonds en mai 2011).
Malgré les très fortes pressions du FMI, les pare-feux européens n’étaient pas en place à cette époque. Une crise dans ces conditions aurait été très coûteuse pour l’Union comme pour le FMI. Dès lors qu’elle était décidée, la restructuration de la dette aurait certainement dû être plus massive mais n’aurait pu être qu’à peine plus rapide. Ce retard a sans doute permis à quelques banques et créanciers de s’en sortir à bon compte et c’est un dommage collatéral regrettable, mais ce délai a aussi permis à l’Europe de mettre en place les programmes irlandais et portugais et, par là même, de réduire les risques de contagion qu’une restructuration plus précipitée de la dette privée aurait pu entraîner.
 La conséquence de tout cela est qu’un énorme effort a été demandé au peuple grec. Il n’est toutefois pas sans résultat: le budget est maintenant proche de l’équilibre primaire.
Le FMI aurait dû être plus humble sur les résultats à attendre des réformes structurelles dans un environnement où les institutions publiques étaient et demeurent largement défaillantes. L’Office d’évaluation indépendant au sein du Fonds a d’ailleurs montré comment les projections sur l’effet des réformes étaient optimistes.
Cette démarche libérera la Grèce de toutes ses obligations envers le secteur officiel (institutions publiques) pour les deux prochaines années. Cela laissera le pays dans une contrainte difficile, puisqu’il ne pourra pas emprunter sur les marchés, ne recevra plus de ressources de l’UE ou du FMI son budget tout seul. Pour y parvenir, les Grecs devront faire des choix budgétaires difficiles mais ils les feront eux-mêmes, de leur propre chef. Le gouvernement devra commencer par percevoir des impôts et se battre contre l’oligarchie, les intérêts privés à la lourdeur de l’appareil d’Etat qui sapent son formidable potentiel. Dans cette entreprise, il doit pouvoir compter sur l’assistance de la Banque mondiale, de la Berd, de l’OCDE et de la Commission européenne mais dans un contexte radicalement nouveau qui sera celui de la coopération constructive au lieu d’être celui d’une conditionnalité créant de l’antagonisme.
Si cela fonctionne, la Grèce deviendra éligible à des effacements progressifs de sa dette conditionnés par les différentes étapes et réformes institutionnelles de l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés) que le FMI a déjà mise en œuvre dans de nombreux pays en développement. Seule un dizaine de milliards prévus pour la recapitalisation du système bancaire devraient être versés afin de permettre à la BCE de poursuivre ELA (Emergency Liquidity Assistance) et de stabiliser le système financier.
Il n’est pas sûr que cela marche. Cela peut échouer si les autorités grecques sont insuffisamment courageuses ou insuffisamment indépendantes pour faire les choix nécessaires mais cela vaut la peine d’essayer parce que toutes les autres alternatives sont pires. Forcer le gouvernement grec à céder créerait un précédent tragique pour la démocratie européenne et pourrait mettre en marche une réaction en chaîne incontrôlable. Et, d’un autre côté, poursuivre le programme actuel qui a échoué, étendre la dureté économique au-delà de toute raison et prolonger l’agonie et les tensions entre les préteurs et les emprunteurs serait désastreux.
Telles sont les erreurs que l’Europe a commises trop de fois dans son histoire pour les répéter encore. Parlant ainsi, je veux conjurer mes amis et anciens collègues de ne pas perdurer dans une voie qui me paraît être une impasse.

Ce que le FMI a loupé

Le FMI a fait des erreurs. Je suis prêt à prendre ma part de responsabilité. Le diagnostic du FMI selon lequel nous rencontrions un problème classique de crise budgétaire et de balance des paiements a négligé le fait que la nature inachevée (notamment sur le plan de la politique budgétaire et de la régulation monétaire) de l’union monétaire européenne était à l’origine de tout le problème et aurait dû être un élément essentiel de sa solution. Le FMI a aussi sous-estimé la profondeur des faiblesses institutionnelles de la Grèce qui imposaient à la fois une assistance beaucoup plus grande de la Banque mondiale, une assistance technique plus importante et des prêts plus concessionnels. Le FMI aurait dû être beaucoup plus pressant dans les recommandations faites à la zone euro pour conduire à un ajustement plus symétrique (c’est-à-dire un ajustement demandant des efforts aux Grecs mais aussi aux autres pays) et moins pro-cyclique dans toute la zone.  Il aurait dû aussi s’élever plus encore qu’il ne l’a fait pour combattre à la fois la préférence européenne pour des ajustements budgétaires sévères ainsi que le conservatisme des autorités monétaires. Cela aurait pu éviter le second plongeon de 2011 et aurait aidé les pays du Sud, comme l’ont montré les travaux ultérieurs faits par le département de recherche du FMI sur les multiplicateurs budgétaires

Ma proposition

Le danger vient de ce que nous soyons collectivement incapables de tirer les leçons de notre expérience et que nous continuons à nous dresser les uns contre les autres. En réalité, tout donne à penser que nous nous complaisons à répéter les mêmes erreurs. Nous avons besoin de penser différemment, de changer de logique et de prendre une direction radicalement différente dans les négociations avec la Grèce.
Ma proposition est que la Grèce ne reçoive plus aucun financement nouveau de la part de l’UE comme du FMI mais qu’elle bénéficie d’une très large extension de la maturité et même d’une réduction nominale massive de sa dette à l’égard des institutions publiques. Insister sur un ajustement budgétaire préalable dans l’environnement économique actuel est irresponsable à la fois économiquement et politiquement. Fournir plus d’aide pour seulement rembourser les créanciers publics existant est tout simplement inepte.
L’Eurogroup s’est engagé en novembre 2012 à prendre les mesures nécessaires pour garantir la soutenabilité de la dette grecque. C’est le moment de tenir cette promesse constructive mais ambiguë. Le FMI doit faire de même et s’assurer que tous les remboursements prévus pour les deux années à venir sont effectivement repoussés ou refinancés par des ressources qui restent disponibles dans le programme. Je n’ignore rien des difficultés institutionnelles que cela implique mais il faut les surmonter.



from MarocPress.com http://ift.tt/1CJLlKm

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire