mercredi 22 juillet 2015

Depuis 1945, le Japon a suivi une longue route pour redevenir un pays comme un autre, indépendant et disposant d’une armée propre à le défendre. La guerre terminée, les Etats-Unis, via le général Mc Arthur, proconsul en charge du pays du Soleil-Levant, voulaient le voir renoncer à l’emploi de la violence dans ses relations avec ses voisins. Point n’était donc nécessaire pour lui d’avoir une armée. Tout juste lui fut-il accordé une force d’auto-défense aux conditions d’emploi strictement encadrées.
Or, le 16 juillet, une étape importante de la normalisation japonaise a été franchie: la Chambre basse du Parlement a adopté onze textes liés à la sécurité nationale. Il s’agissait de modifier l’article 9 de la Constitution selon lequel le Japon ne saurait utiliser son armée à l’étranger. Cela ne s’est pas fait sans remous. Des milliers de manifestants, invitant le Premier ministre Abe à la démission et scandant «non à la guerre», ont tenté de faire pression sur les parlementaires(1). L’opposition qui détient moins d’un tiers des sièges a boycotté le vote. Sans succès d’ailleurs puisque les textes qui doivent être maintenant examinés par la Chambre haute, s’ils ne sont pas votés dans les soixante jours, reviendront devant la Chambre basse, où la coalition au pouvoir dispose de la majorité idoine – les deux tiers – pour les adopter définitivement. Alors l’armée nippone disposera d’une liberté inédite d’intervention hors de l’Archipel, par exemple, pour appuyer un allié, tels les Etats-Unis. Une condition, tout de même, a été posée mais qui semble symbolique et ne devrait pas être vraiment respectée: «Que la survie du Japon soit menacée».
Ces textes une fois adoptés, ce qui devrait être fait avant la fin de l’été, la liste des actions militaires que le gouvernement japonais pourra ordonner sera allongée et un changement radical de sa politique de défense verra le jour.

«De bien mauvais souvenirs…»

«C’est peut-être l’un des bouleversements stratégiques les plus importants dans la région Asie-Pacifique depuis 1945: le Japon s’autorise à faire la guerre. Au moins sur le papier. Il s’éloigne, un peu, d’une tradition pacifiste devenue un élément central de son identité à l’intérieur et d’une image positive à l’extérieur – l’ensemble valant rédemption d’un passé militariste, ultranationaliste et colonialiste qui a laissé de bien mauvais souvenirs chez ses voisins…».Le Monde, 19-20 juillet 2015, Editorial (extrait)

Le Japon, déjà, n’est pas dépourvu de matériels modernes, y compris ceux qu’il produit lui-même, artillerie, blindés, navires de guerre, même une version très moderne du chasseur «Zéro», très redouté naguère par l’US Airforce. Le Japon, cependant, pour redevenir une puissance militaire, doit surmonter une opposition intérieure très vive. A partir de 1947, les forces nippones avaient été organisées sur une base défensive de manière à neutraliser par avance toute idée d’attaquer un adversaire ou de conduire des attaques préemptives dans la région. Désormais, la législation proposée confèrera à Tokyo le droit de prendre sa part d’une défense collective. Ainsi, le Japon pourrait conduire des opérations offensives en appui d’un allié, même en l’absence de menace directe à l’encontre de son territoire.
En Asie de l’Est, plusieurs Etats redoutent un Japon redevenu militairement actif. Depuis 1945, en effet, Tokyo ne pouvait maintenir sur pied de guerre des moyens projetables, terrestres, aériens et navals, ni employer la force pour régler une crise. Bien que ce cadre contraignant ait guidé la pensée militaire nippone depuis l’adoption de la  Constitution de 1947(2), le débat sur le bien-fondé de ces limitations a peu à peu gagné en ampleur tant au Parlement que dans l’opinion.
Les derniers développements politiques ont amplifié le mouvement. Longtemps au pouvoir, le Parti démocratique libéral est à nouveau chargé du gouvernement depuis décembre 2012, après trois années d’une opposition attachée aux questions militaires. Les forces politiques animées par M. Abe ont mobilisé les institutions et pris plusieurs initiatives en matière de défense, généralement jugées, au Japon et ailleurs, comme étant presque agressives.
Politiquement,  ce dynamisme retrouvé de l’institution militaire a été «vendu» à l’opinion comme une nécessaire concession aux Etats-Unis. Cela n’a pas empêché le pouvoir de «noyer le poisson», en maintenant une sorte de brouillard rendant illisible la distinction entre le maintien d’une force vouée à la seule auto-défense et l’entraînement et l’équipement de ses unités dans le but de faire du pays une puissance militaire. La transformation a débuté en 1997. Cette année-là, un «papier blanc» sur la Défense présentait sans détour excessif la nouvelle stratégie du pays et son aire potentielle d’intervention, opposée à celle, traditionnelle, centrée sur les zones situées à proximité immédiate de l’Archipel.
Dans un premier temps, il est probable que le changement consistera surtout à faire évoluer le débat interne. Ceci devrait offrir de nouvelles options au pouvoir pour qu’il puisse répondre à nombre d’éventualités. Ainsi les forces d’auto-défense seraient désormais libres d’intercepter des missiles tirés contre des alliés. Au plan naval, la marine japonaise pourrait être autorisée à neutraliser des bâtiments étrangers en train d’aider les adversaires des amis du Japon. Fournir une aide logistique à ces derniers deviendrait possible. Ce serait également le cas de missions d’auto-défense rendues nécessaires lors d’opérations multinationales de maintien de la paix. Sans compter des actions d’exfiltration d’otages nationaux ou des ripostes à des agressions limitées menées par des groupes mal identifiés.
Compte tenu des qualités du Japon en matière technologique et institutionnelle, cette évolution va conduire ses voisins à une réévaluation géostratégique. Pékin va probablement considérer la chose comme le dernier avatar d’un « containment » mis en œuvre sous l’égide de Washington. Mais Pékin pourrait aussi craindre un Japon désormais libre d’agir hors du contrôle étroit des Etats-Unis. De son côté, Tokyo voit dans la Chine un pays aux capacités militaires croissantes qui entend changer le statu quo dans la région, une bonne raison pour le Japon de normaliser sa politique de défense.       
De leur côté, les Etats-Unis se réjouissent de voir leur grand allié asiatique prendre une plus grande part du fardeau de la sécurité commune, et cela, même si l’influence nouvelle du Japon sur les décisions régionales devait nuire un jour aux intérêts américains. Car l’irruption d’un Japon autonome en matière d’intervention militaire peut créer des tensions dans la région, avec le risque pour les Etats-Unis de se voir entraînés dans de mauvaises querelles. Cela ne devrait pourtant pas empêcher la communauté internationale d’accueillir favorablement le retour du Japon, 70 ans après la fin du Second conflit mondial, à la pleine souveraineté.

«5 défis que pose tranquillement la Chine à l’Occident» (3)

«Deuxième défi: l’expansionnisme chinois, justifié par le désir d’incarner un pouvoir incontournable en Asie du Sud-Est et dans toute la région».
« …On peut penser que, si les Chinois aimeraient être reconnus au niveau mondial, et peut-être même être considérés comme étant d’essence supérieure, leurs ambitions hégémoniques sont bien davantage régionales, un espace dans lequel ils peuvent se montrer parfaitement intransigeants…
La volonté expansionniste que l’on observe actuellement se traduit par des poussées en direction de la mer de Chine orientale et la mer de Chine du Sud. Ces revendications sont appuyées par une impressionnante montée en puissance d’une marine de guerre bâtie en quelques années malgré une quasi-totale absence de traditions et d’expérience dans ce domaine…». 

(1) Voir Philippe Mesmer, «Au Japon, Abe cherche à imposer sa loi sur la défense», Le Monde, 18 juillet 2015.
(2)  La «Constitution d’après-guerre», appelée aussi «Constitution de la paix», rédigée sous le contrôle étroit des Etats-Unis, a été votée le 3 novembre 1946 pour entrer en vigueur le 3 mai 1947.
(3)  Atlantico, 18 juillet 2015, contribution de Jean-Vincent Brisset, spécialiste de la Chine.



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