mardi 30 juin 2015

Difficile de voir dans les prochains scrutins de cet été – des chambres professionnelles puis des collectivités territoriales jusqu’à l’élection de la nouvelle Chambre des conseillers le 2 octobre – un grand renouvellement des élites. Il y aura en effet un taux significatif de sortants couplé à de nouveaux profils. Mais au-delà de cette équation, la question posée est de savoir si ce processus va ou non sensiblement rénover le recrutement de ce personnel politique en puisant en dehors des structures de sélection et de cooptation qui prévalent encore? Y aura-t-il une recomposition de la classe politique avec une forte ouverture vers des compétences particulières?
La mise en perspective historique de cette  problématique, même à grands traits, peut aider à en clarifier les termes de références actuels. Dans un premier temps, durant pratiquement les deux décennies qui ont suivi l’indépendance, ce sont surtout les notables qui ont fourni le gros des élites et partant celles qui ont été cooptés dans les élections locales et nationales.
Dans une deuxième phase, l’on note une participation d’une autre composante de notabilité liée notamment  à une bourgeoisie administrative devant son statut à ses fonctions dans l’appareil d’Etat et le secteur public. Il faut y ajouter une nouvelle bourgeoisie d’affaires enrichie par la marocanisation des années soixante-dix. L’illustration de ce phénomène est faite en 1976-1977 avec le courant dit des «indépendants» –  déjà majoritaire – lequel conduira à la création du RNI en octobre 1978. Ce déclassement des élites traditionnelles va se poursuivre depuis une quinzaine d’années avec la promotion d’un nouveau segment: celui des technocrates, parés  hâtivement à l’occasion d’un parrainage partisan.
Dans le même temps, le profil militant des élites partisanes de l’opposition historique subit lui aussi les contrecoups de cette évolution. Le principe d’une élite qui a gagné ses titres dans ses engagements et ses combats pour la démocratie prévaut encore. Du fait de ce paramètre, les structures organiques partisanes étaient dirigées par des groupes, des clans, voire des familles, s’octroyant une capacité de sélection particulière. Au sein de l’USFP, le groupe dit de Rabat-Salé paraissait bien marginaliser à cet égard celui de Casablanca ou d’autres régions.
Dans la formation istiqlalienne, c’est un cercle intérieur autour d’un noyau dur fassi qui avait en main le pouvoir de cooptation, de promotion et d’investiture électorale. Pour autant, ce mode de sélection n’allait pas tarder à marquer le pas et à montrer ses limites. Les «nouveaux notables» disposent en effet d’un capital de ressources de clientélisation bien distinct de celles offertes dans le passé limitées à des produits de grande consommation (farine, huile, sucre), à des chantiers de la promotion nationale ou à des recrutements dans les forces auxiliaires. Ils justifient d’une assise matérielle, foncière avec les terres récupérées, et immobilière ainsi que de capacités d’intervention dans les champs social et économique servies par un relationnel conforté sous l’ombrelle de l’administration. En somme, une fructification électorale des dividendes d’une économie de rente…
En termes électoraux, la prime traditionnelle accordée aux notables est davantage valorisée avec cette recomposition intervenue en une trentaine d’années dans le secteur notabiliaire. Si bien que la nature même du système partisan en a subi les conséquences. Naguère, l’on avait une bipolarité formée des partis héritiers du mouvement national et ceux dits «administratifs»  (RNI, PND, UC et même MP). Celle-ci se fondait sur une altérité entre deux projets de société ainsi que sur des politiques économiques différentes. Avec le cabinet d’alternance (1998-2002), c’est un tronc commun de réformes et de chantiers qui sert de référentiel même si la feuille de route qui les déclinent change avec les législatures. Le Maroc de ce nouveau siècle a priorisé le développement, les législatures et en même temps la consolidation de la démocratie couplée à une gouvernance plus efficiente. Si bien que le leadership traditionnel est supplanté de plus en plus par une nouvelle configuration davantage ouverte à des capacités et à des potentialités jusqu’alors hors partis. Ce qui explique que des formations comme l’USFP et le PPS aient ouvert leurs bras, à compter des élections de 2007, à des notables sans historique militant dans leurs rangs respectifs. Le makhzen a-t-il gagné dans cette mutation? Il garde encore une certaine capacité de régulation mais des lobbies de toutes sortes ont  su s’y incruster ou à tout le moins  y disposer de relais informels.  Le profil  des notables a donc changé depuis les années soixante; mais leur statut dans le processus électoral s’est maintenu – il s’est même renforcé. A la limite, ce sont eux qui, compte tenu de leur capital social arrivent à choisir leur parti et pas l’inverse. Et les citoyens dans tout cela? Ils se bornent à voter – ou  non – et à s’insérer le cas échéant dans un réseau clientéliste.

Un clientélisme vivace

La démocratie, au Maroc ou ailleurs, se déploie dans un cadre formel, institutionnalisé, mais elle est aussi mise en œuvre par des processus sociaux dont le clientélisme. Il s’agit d’une forme de relation basée pratiquement sur un échange entre un «boss»  et des clients. Les raisons en sont multiples: faible capacité des structures institutionnelles en place, besoin d’aide, voire de protection compensant les groupes primaires comme la famille ou la tribu,… Sur leur qualification et leur fonction utile de modernisation politique, les spécialistes sont partagés: pour les uns, le clientélisme conforte une intégration sociale verticale et permet ainsi de relier les périphéries au centre; pour d’autres, tel n’est pas le cas en ce sens qu’il maintient une société en l’état et qu’il légitime peu ou prou un système de domination traditionnel sinon archaïque.
En étant un simple instrument d’utilité personnelle, le clientélisme entrave l’institutionnalisation et la légitimité des partis. Pour autant, tout un courant de la science politique considère, lui, que le clientélisme est un élément permanent de l’action politique. Et de citer le fait qu’il perdure dans des pays développés (Japon, Etats-Unis) et qu’il soit au cœur d’organisations rationnelles (partis, groupes de pression, administration…) de tant d’autres pays du G8. Deux phénomènes poussent dans ce sens.
Le premier a trait à des individus et des groupes qui sont toujours prêts à s’épargner par le biais d’avantages et/ou de passe-droits la concurrence économique ou démocratique – il y a là un marché de la demande. Quant au second, il regarde la situation d’hommes politiques toujours soucieux d’assurer leur carrière et de renforcer leur position en se créant une clientèle – c’est l’offre. Un marché donc du clientélisme, vivace, structurant dans toute société politique.



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